Il était une fois une maison rose...

Non ce n'est pas le début d'un conte de fée mais l'histoire d'une habitation du hameau de  Cossieux demeurée longtemps dans notre environnement comme immuable, souvent admise comme point de repère mais surtout liée à un passé industriel aujourd'hui disparu, véritable lieu d'accueil d'émigrants attirés par l'opportunité d'un travail durable et une possibilité d'installation.

A la fin du XIXe siècle, Robert Bonnet, fils de Victor et petit-fils de Claude-Joseph Bonnet, le fondateur des soieries qui porte son nom, désireux sans doute de marcher sur les traces de son auguste ancêtre, décide la construction d'une usine à fabriquer le ciment sur l'emplacement d'un moulin acquis en 1869 par son père qui lui a laissé par donation.

Vers 1880 cette nouvelle entreprise prometteuse : "Ciment de la Roche Noire", exploitant un gisement sur la rive gauche du Riez, voit le jour. Robert Bonnet a peut être sous estimé la responsabilité d'une telle tâche et la cède à l'entreprise Bollet-Olivier qui dès 1896 emploie 27 ouvriers en grande partie venus d'Italie, fuyant la misère des campagnes et encouragés par le gouvernement italien. Ce dernier étant confronté à la surpopulation des campagnes et désireux de bénéficier de l'envoi de capitaux par ses ressortissants afin de financer le développement du pays.

Peu avant 1900, quelques familles et surtout des célibataires hommes sont présents, logeant au hameau de Cossieux, à la Roche Noire dans les bâtiments de l'ancien moulin Vinoche, à Cornelle dans la bâtisse du moulin Demias désaffecté et dans quelques environs immédiats. Parmi ces familles retenons: les Dentella, Ferrando, Juliani, Nigra et Ricco. Peu de femmes travailleront sur place, les épouses allant grossir les rangs des effectifs féminins de l'usine de soierie de Jujurieux.

Peu après 1910, l'entreprise Olivier absorbée par la Compagnie des Ciments Lyonnais augmente les infrastructures, obtient un prolongement industriel de la voie du tram venant de Jujurieux et ouvre une nouvelle extension de l'usine sur le site des Barattes avec l'exploitation des nouveaux gisements de Cornelle. Malgré la première guerre mondiale l'embauche est importante et un problème de logement se pose. Dans l'année 1914, la société procède alors à la construction d'une grande habitation à son nom, reconnaissable par le libellé composé avec les tuiles sur son vaste toit, capable d'héberger dans un premier temps, grande guerre oblige, nombre de manœuvres et ouvriers étrangers venus remplacer les ressortissants italiens repartis se battre aux côtés des alliés dans leur pays. L'habitation reçoit alors de nouveaux occupants composés en partie d'une trentaine de manœuvres portugais épaulés par des gens du Maghreb, du Sénégal, de l'Algérie, de l'Espagne et de la Pologne.

La guerre achevée, dès 1921 la partie inférieure va comporter 16 logements attribués aux familles. Les dortoirs affectés, jusque là aux célibataires, seront transformés rapidement en logements plus vastes et communs, pour familles, du rez-de-chaussée au premier avec construction d'autant de gaines de cheminées.

Les familles italiennes de retour occupent ce vaste ensemble. Elles ont pour nom : Saccomani, Piani, Benetti, Pianina, Burello, Bertoli, Nigra, Abbiatici, Crestani, Ferreto et vivent aux cotés de celles de la première heure. L'école de Cossieux, implantée dans la maison Dubreuil depuis 1913 va accueillir jusqu'en 1922 quelques-uns des enfants de cette maisonnée.  Nombre de ces habitants seront figurants dans le film de 1929, "Dans la Nuit", tourné par Charles Vanel à proximité immédiate. Appelée "Cité des Ciments", cet univers transalpin fort de nouvelles arrivées comme les  Barbierie, Biasi, est partagé aussi par une famille polonaise et une  portugaise. Quelques mariages mixtes avec des personnes du pays sont constatés avec cependant une  population allant décroissant à partir de 1936.

La seconde guerre mondiale et la défaite de la France  provoque un nouveau choc avec la mise en chômage des "Ciments Lyonnais", quelques familles sont encore présentes lorsque le 2e BCP reconstitué dans la zone libre vient s'installer à Jujurieux. La "Cité des Ciments" est alors réquisitionnée pour la troupe qui s'en accommode avec adjonction de baraques en bois complémentaires. Avec le 11 novembre 1942, commence l'occupation de la zone libre, le régiment est dissout et beaucoup rejoignent les maquis locaux et Louhannais.

Après la libération elle devient la "Maison Rose" en raison de la couleur de son enduit extérieur et abrite des familles de maçons espagnols ainsi que les familles Veugle et Abbiatici dans le cadre de logements sociaux.

Elle connaîtra des rénovations importantes permettant un meilleur accueil des familles jusqu'aux années 2015, elle sera alors, à défaut d'être la cité radieuse la" Cité Rose". Démolie définitivement en septembre 2017 elle laissera la place à quatre pavillons accouplés deux par deux dont deux avec un étage.

Jacques Grimbot

 

C'est seulement à l'instant de les quitter que l'on mesure son attachement à un lieu, une maison, ou à sa famille.

Eric Cantona